Xavier Dupont de Ligonnès: Probabilité

Pour chacun des 19 points suivants quelle est selon vous, entre les propositions A et B, l'hypothèse la plus probable ?

01) Aveu anticipé

Le 11 juillet 2010, suite à la décision de son amie d’enfance et ex partenaire de le poursuivre pour le prêt non remboursé, Xavier a prévenu ses deux amis Michel et Emmanuel de ce qui allait arriver dix mois plus tard. Par mail, il évoque l'éventualité d’une issue dramatique : soit un suicide individuel le concernant, soit le décès provoqué de toute sa famille. Dans ce second cas, il prévoit sa propre mise en cause rendue évidente à la suite d'une enquête de police. Xavier exprime alors deux souhaits contradictoires : d'une part il demande à ses deux amis de conserver précieusement cet email afin de pouvoir l'authentifier au cas où sa prédiction se réaliserait, et d'autre part il veut que jamais ses proches, parents, frère et sœurs, ne puissent croire qu'il soit réellement coupable de ce dont on l'accusera, "même si les preuves sont formelles". Quelles sont les intentions de Xavier en écrivant cette sorte d’aveu anticipé ?

Xavier se sent acculé et veut prévenir Michel et Emmanuel de ses sombres intentions, mais il ne réalise pas que cet email constitue une forme d’aveu. Ce qui lui importe est que sa famille proche ne puisse pas croire pas à sa culpabilité.

Xavier connait l’avenir qui les attend, sa famille et lui, il est conscient que ce qu’il écrit pourra être considéré comme un aveu, et il souhaite malgré tout que ce soit authentifié par Michel et Emmanuel au moment où l’affaire sera rendue publique. Xavier veut faire passer un message qui ne pourra être compris qu’à ce moment-là.

02) Pas de mobile évident

Dans ce mail, Xavier dit à Michel et Emmanuel que c’est parce qu’il n’a plus de quoi subvenir aux besoins de sa famille qu’il envisage l’éventualité d’un « suicide collectif », selon ses propres mots. Pourtant Arthur travaille déjà et Thomas est bientôt indépendant. Agnès, les enfants, les amis et les proches sont tous au courant des problèmes récurrents et des dettes de Xavier : c’est bien la raison pour laquelle on lui avance de l’argent. Xavier n’a pas de façade à préserver auprès de qui que ce soit, il est même plutôt transparent sur sa situation financière, et ce qu’il dit à Michel et Emmanuel le prouve. Il n’y a pas d’échéance particulière en avril 2011, les huissiers sont déjà passés plusieurs fois : parfois, Xavier étant absent, ce sont les enfants qui les ont reçus. Le mobile financier semble donc être un prétexte.

Xavier veut préserver sa famille d’une dégringolade sociale. Il ne veut pas se tuer seul car il veut éviter à ses enfants d’avoir à vivre avec les causes et les conséquences d’un suicide paternel. La mort de toute la famille est la solution qui, à ses yeux, lui permettrait d’une part de tirer un trait sur sa vie présente, qu’il ne supporte plus, et d’autre part d’en finir avec ses angoisses sur l’avenir de ses enfants.

Xavier sait que sa vie familiale va complètement changer dans quelques mois et qu’il sera suspecté de la mort de toute sa famille. Sa situation financière, réellement compliquée, fournit un bon mobile apparent. Le scenario imaginé s’inspire sans doute de meurtres familiaux connus, comme ceux de List ou de Romand, par exemple.

03) Attitude volontairement suspecte

A l’automne 2010, Xavier s’intéresse au tir, et accompagne Emmanuel dans son club. Avec Emmanuel et l’instructeur du stand de tir, Xavier évoque la carabine 22 LR que son père détient chez lui et parle de l’apporter au club. En décembre 2010, Xavier s’inscrit au club. Après la mort de son père, en janvier 2011, Xavier récupère l’arme et la montre à l’instructeur du stand de tir qui la remet en état. En mars 2011, Xavier se fait remarquer dans une armurerie, souhaitant acquérir une arme de poing. Quelques jours plus tard, il se fait acheter par son ami Emmanuel qui a un port d’armes en règle, mais avec sa propre carte bancaire, un silencieux et des munitions pour la carabine. Puis, en présence d’Emmanuel et de ses fils, il essaye l’arme équipée du silencieux dans le jardin du 55 Boulevard Schumann. A la fin du mois de mars, il emmène ses deux fils Thomas et Benoît au club de tir pour les initier. A la même période, invité par son neveu qui est chasseur, il parle longuement d’armes avec lui, et notamment de sa carabine. Dès le 18 avril 2011, apprenant l’existence de l’arme, le parquet de Nantes ordonne sa saisie, mais elle ne sera pas retrouvée au domicile. Le 20 avril, la piste criminelle parait évidente, la police effectue une recherche de sang dans la maison.

Xavier ne pensait pas que son intérêt récent pour les armes pourrait le rendre rapidement suspect aux yeux des enquêteurs.

Xavier était conscient que ses faits et gestes orienteraient les enquêteurs vers une piste criminelle. Sans doute même était-ce intentionnel de sa part.

04) Achats accablants

Les 1er et 2 avril 2011, Xavier achète avec sa carte bancaire une pelle-bêche, une houe lorraine, un sac de ciment prompt, des sacs à gravats, du ruban adhésif robuste et quatre sacs de chaux vive. Ces achats, découverts le 20 avril 2011 sur ses relevés de carte bancaire, vont décider les enquêteurs à sonder la terre sous la terrasse, de part et d’autre de l’entrée de la cave. En dehors des outils, jamais retrouvés, tous les autres articles achetés vont être découverts par la police dans les fosses ou sur les enveloppes des corps exhumés.

Xavier pensait que les corps ne seraient jamais retrouvés, et que la police n’irait pas jusqu’à identifier la nature exacte de ses achats par carte bancaire.

Xavier était conscient que ces achats inciteraient la police à rechercher des cadavres ensevelis et feraient de lui le principal suspect. Cette transparence semble intentionnelle.

05) Témoignages concordants

Ni l'enquête ni les autopsies n'ont permis de déterminer les dates de décès avec précision, la chronologie proposée se base principalement sur les signes de vie de la famille. Le lundi 4 avril, Xavier excuse les absences d’Agnès, d’Arthur, d’Anne et de Benoît, et annule un rendez-vous de kiné pour Agnès. Les comptes Facebook cessent d’être actifs à partir de ce jour. Pourtant, plusieurs personnes du voisinage ou de l’entourage ont affirmé avoir vu Agnès après le 4 avril, et trois d’entre elles ont été capables de fournir un témoignage précis et circonstancié. L’une a vu Agnès le mardi 5 avril vers midi, devant sa maison. Deux autres ont vu Agnès dans l’après-midi du 7 avril, non loin du domicile. Chacun de ces trois témoins avait un repère de temps précis pour dater le témoignage. La concordance des trois témoignages est remarquable, les probabilités pour qu'il ne s'agisse que d'un cumul de coïncidences sont faibles. C’est la raison pour laquelle les enquêteurs ont effectué des vérifications poussées sur ces témoignages mais ils n'ont jamais pu les infirmer. L’éventualité dérangeante de la présence d’Agnès aux côtés de Xavier après le 4 avril 2011 ne peut pas être éliminée.

Ces témoignages sont erronés, Agnès a été tuée dans la nuit du 3 au 4 avril car son appareil d’assistance respiratoire a été utilisé pour la dernière fois cette nuit-là. Il ne peut s’agir que d’erreurs dans les dates, même si ces témoignages convergent.

Agnès était présente aux côtés de Xavier, au moins jusqu’au 7 avril. Cela implique qu’elle ne s’est volontairement pas rendue à son travail ni à son rendez-vous de kiné, et qu’elle connaissait la véritable raison des absences et du silence des enfants. Xavier ayant justifié les absences de toute la famille, il y a donc eu une collaboration dans le couple pour faire croire à un certain scénario.

06) Signes de vie d'Agnès

Les témoignages en faveur de la présence d’Agnès à Nantes le 5 et le 7 avril 2011 sont renforcés par plusieurs signes de vie d’Agnès dont un écrit de sa main, affiché dans la matinée du 6 avril sur la porte du domicile, ainsi que par les communications téléphoniques émises entre le 5 et le 8 avril depuis les téléphones d’Agnès, de Thomas et d’Anne. Les enquêteurs ont évidemment supposé que c’est Xavier seul qui était à l’origine des envois de SMS et des consultations de la messagerie vocale. Cependant, certaines de ces communications sont difficilement attribuables à Xavier : alors qu’il est sorti faire des courses à l’extérieur, les téléphones activent toujours les mêmes bornes, proches du domicile. De plus, certains SMS envoyés depuis le téléphone d’Agnès donnent à ses interlocuteurs des informations qui contredisent les excuses que Xavier avait envoyées par écrit à ces mêmes personnes. Enfin, certains des interlocuteurs d’Agnès disent avoir bien reconnu son style dans les SMS.

Il ne peut s’agir que de Xavier, qui donne le change avec habileté pour faire croire à la survie d’Agnès et des enfants, afin de gagner du temps, ou bien pour appuyer l’idée de l'exfiltration : il se doutait que ses proches étudieraient attentivement le dossier. La concordance de ces communications SMS avec les témoignages est un hasard qui profite à Xavier et aux tenants d’une hypothèse alternative.

Certains détails chronologiques n’ont pu être relevés que par une étude approfondie du dossier. La probabilité pour que des erreurs concordantes de témoins coïncident heureusement avec de subtiles simulations de Xavier destinées à ceux qui étudieraient le dossier est extrêmement faible. Xavier aurait alors bénéficié d'une chance incroyable, mais c'est raisonnablement impossible en terme de probabilité. Agnès était donc vivante le 7 avril, et sans doute encore après.

07) Répartition des corps dans les fosses

Les corps retrouvés dans les fosses étaient répartis ainsi : un homme dans une petite fosse isolée à gauche de l’entrée de la cave. Deux femmes, deux hommes et deux chiens dans la fosse de droite. Le corps isolé a été d’abord attribué à Arthur avant d’être identifié à l’autopsie comme étant celui de Thomas. Cette répartition est le principal indice en faveur de la chronologie proposée : Agnès, Arthur, Anne, Benoît et les deux chiens auraient été tués et enterrés avant le 5 avril au soir. Thomas, rentré d’Angers le 5 avril vers 23h30, aurait été tué et enterré le 6 avril au plus tôt. Cependant les témoignages et signes de vie en faveur de la présence d’Agnès à Nantes aux côtés de Xavier jusqu’au 8 avril inclus sont incompatibles avec cette chronologie hypothétique. Comment résoudre cette contradiction ?

La répartition des corps dans les fosses est un indice chronologique fiable. Il montre bien qu’Agnès a été tuée et enterrée avant le retour de Thomas le 5 avril au soir.

Si Agnès était en vie jusqu’au 7 avril, la répartition des corps dans les fosses est une mise en scène destinée à faire porter les soupçons sur Xavier exclusivement.

08) Retour de Thomas à Nantes

Le soir du mardi 5 avril, à la suite d’un appel de son père, Thomas prend le train à la gare d’Angers pour rentrer à Nantes. A ses amis, Thomas explique qu’il sera absent le lendemain parce que sa mère a fait une chute de vélo et qu’elle a dû être hospitalisée. Ses amis sont unanimes pour dire que Thomas n’était vraiment pas inquiet pour sa mère, il a dit à tous qu’elle avait fait un « petit coma » et qu’elle s’était déjà réveillée. Agnès ne faisant pas de vélo, le prétexte donné par Thomas à ses amis est surprenant. Avant son départ d’Angers, Thomas a envoyé un SMS à sa mère, et le téléphone de celle-ci lui a répondu une heure plus tard. La veille au soir, Xavier était venu à Angers pour dîner en tête à tête avec Thomas, alors que le père et le fils s’étaient déjà vus pendant tout le weekend. Après être rentré à Nantes, vers minuit, Thomas a envoyé un SMS à un ami pour dire qu’il regardait un film avec son père. Il n’a rien manifesté au sujet de la présence ou de l’absence de sa mère, d’Anne et de Benoît à la maison. Ce que Xavier a dit à Thomas au téléphone en fin d’après-midi, c’est-à-dire la véritable raison qui a décidé ce dernier à rentrer à Nantes, reste un mystère.

Quel que soit ce que Xavier a raconté à Thomas pour le faire revenir à Nantes, c’était dans l’intention de le tuer et de l’enterrer avec sa mère et ses frères et sœur.

Thomas et Xavier ont parlé le 4 avril au soir, non seulement au restaurant, mais aussi dans la voiture, lorsqu’ils étaient seuls. Thomas n’a vraisemblablement pas dit tout ce qu’il savait à ses amis, et il a lui-même participé au scénario.

09) Absence de scène de crime

L'enquête n'a pas pu localiser dans les chambres, ou ailleurs dans la maison, une ou plusieurs scènes de crime de ce qui semble être un quintuple assassinat. Les enquêteurs n'ont pas trouvé d’indice flagrant permettant de confirmer qu’un ou plusieurs meurtres auraient eu lieu dans la maison, malgré la présence des cadavres enterrés. Faute de preuve, il n’y a eu aucune tentative de reconstitution. En ce qui concerne la recherche de traces de sang, seules deux minuscules taches ont été trouvées sur les barreaux d’une chaise de la cuisine. De plus, un nettoyage sommaire du sol carrelé de cette pièce semblait avoir été fait récemment, car le sol et les ustensiles de nettoyage ont réagi positivement au produit révélateur. Comment expliquer l’absence de scène de crime dans les étages ?

Afin de ne pas laisser croire à un assassinat, les chambres et les escaliers ont été nettoyés de façon professionnelle, ou bien protégés avec un soin méticuleux, puisque rien n’a réagi au produit réactif.

Il n’y a pas eu de violence dans les étages. Cela économise la difficulté du transport de cinq corps tués par balle dans les escaliers sans laisser aucune trace.

10) Absence de preuve directe

L’enquête n’a pas permis de relever des preuves, telles que de l’ADN ou des empreintes digitales, permettant l’identification de l’auteur (ou des auteurs) de l’ensevelissement des corps. Parmi les proches ou le voisinage, personne n'a vu, entendu ou eu connaissance de travaux en cours dans le jardin. Le travail d’excavation des fosses, la manutention de la terre déblayée, son stockage temporaire et le recouvrement des corps ont été réalisés de façon très discrète et silencieuse, avec le souhait manifeste de rester invisible et anonyme.

Xavier espérait que les corps ne soient pas découverts, ou pas immédiatement. Il a travaillé avec une très grande discrétion et a pris soin de ne laisser aucun indice qui puisse donner l’idée d’aller sonder la terre sous la terrasse. Peut-être aussi anticipait-il le déni de ses proches : en s’appliquant à ne pas laisser de signature sur le terrain, il travaillait par avance à renforcer la théorie de l’exfiltration dans leur esprit.

Ces actes ne sont pas le fait de Xavier, puisqu'il ne craignait pas de passer pour suspect. De plus, s'il avait lui-même réalisé ces travaux, ses voisins l’aurait entendu creuser ou l’aurait aperçu en train de déplacer de la terre dans son jardin. Ceux qui ont enterré les corps ont pris soin de ne laisser aucune trace, afin que Xavier apparaisse comme l’unique suspect.

11) Excavation des fosses et ensevelissement

Xavier n’était pas habitué aux travaux manuels, il souffrait régulièrement du dos et de l’épaule, au point de devoir parfois rester allongé. Xavier été vu de nombreuses fois début avril 2011, à l'extérieur du domicile, ainsi qu'à Angers et en Vendée et à aucun moment il n'est apparu sale ou en tenue de travail comme quelqu'un qui creuserait un trou dans la terre, ni même semblant harassé par un travail manuel. Les deux outils que Xavier a achetés avaient un long manche et n’étaient pas adaptés pour creuser deux trous dans un espace réduit haut de 1,20 mètre, et déplacer deux fois 2,5 mètres cubes de terre. Malgré les handicaps physiques et techniques de Xavier, la réalisation des fosses a été particulièrement bien faite puisqu’il n’y avait aucune trace de terre remuée qui aurait pu alerter les policiers lors de leurs quatre premières visites au domicile.

Xavier a réalisé seul les fosses et l’ensevelissement des corps, il a pallié ses handicaps physiques et techniques par une longue préparation mentale et physique, ainsi qu’une très forte motivation. On pourrait définir cela comme le « travail physique du crime », en référence à la théorie du « travail psychique du crime » développée par un expert criminologue réputé.

Physiquement et techniquement, le travail d’excavation des fosses et l’ensevelissement des corps ne peuvent pas être l’œuvre d’un homme seul, compte tenu de l'emploi du temps connu de Xavier. En revanche, un groupe organisé et bien préparé peut faire ce travail en quelques heures. Un groupe entraîné est donc bien plus discret et efficace qu’un homme seul qui doit étaler les travaux sur plusieurs jours, avec le risque de se faire voir ou entendre par les voisins.

12) Précipitation et excuses contradictoires

Dans la deuxième quinzaine de mars, Xavier prend encore des rendez-vous pour le mois d’avril, professionnels, privés, stand de tir, comme si aucune décision n'avait encore été prise, au moins pour la date. Le 31 mars il annonce à une amie que toute la famille va très probablement déménager aux USA, mais il dit attendre une confirmation imminente. Les deux jours suivants Xavier achète le matériel et la chaux vive. Le 4 avril, Agnès, Arthur, Anne et Benoît sont absents, les excuses données par Xavier au téléphone sont toutes temporaires : maladie, accident de scooter. Le 6 avril dans la nuit, alors que Thomas vient de rentrer d’Angers, Xavier parle d’un changement de vie définitif à un ami. A partir de cette date, Xavier envoie des courriers aux écoles, aux employeurs d’Agnès et d’Arthur, ainsi qu’aux logeurs des deux aînés pour leur dire que toute la famille part s’installer en Australie. A plusieurs amis, il évoque par email un départ pour les USA. Enfin, avant de quitter Nantes, Xavier envoie un courrier aux familles et aux amis les plus proches, dans lequel il dit travailler depuis plusieurs années comme agent informateur pour la DEA (Drug Enforcement Administration). Dans le cadre d'un programme de protection de témoins, toute la famille doit changer d'identité et quitter la France en urgence et en secret. Xavier recommande à ses intimes d’entretenir l’excuse d’un départ en Australie. Le mail à Emmanuel et Michel prouve que Xavier a en tête un changement de vie depuis juillet 2010. Pourquoi cette précipitation apparente au dernier moment et toutes ces explications qui se contredisent ?

Il ne s’agissait pas d’une préparation parfaitement planifiée sur plusieurs mois. Xavier a pris sa décision fin mars, un peu précipitamment, peut-être à cause de la visite d'un huissier, et avec le stress du passage à l’acte, il a mis quelques jours à trouver les excuses qui lui semblaient les plus adaptées. Ce peut aussi être un stratagème de sa part pour rendre la version de l'exfiltration plus crédible vis à vis de ses proches : Xavier se doutait qu'ils étudieraient le dossier attentivement.

Xavier n’est pas seul à organiser ce changement de vie, planifié depuis 10 mois au minimum. Ce n'est pas lui qui décide du calendrier, et il ne dit que ce qu’il peut dire, ou ce qu’il juge utile de dire à l’un ou à l’autre, au jour le jour.

13) Courrier auto-discrédité

Dans le même courrier où Xavier parle de l’exfiltration de la famille organisée par des services secrets, Xavier dit qu'il n'est pas nécessaire de s'occuper des gravats entassés sous la terrasse, évoquant ainsi précisément l'emplacement où les corps seront retrouvés par la police deux semaines plus tard. Il utilise aussi cette formule ambigüe : « quand vous lirez ce courrier nous n'existerons plus officiellement », qui peut évoquer un décès. Enfin, certaines informations données dans ce courrier s’avèreront fausses après l’enquête de police. Les chiens n’ont pas été confiés à un ami, ils ont été retrouvés morts dans les fosses. La C5 d’Arthur n’a pas été revendue pour pièces, Xavier s’en est servi pour quitter Nantes seul : de toute évidence il n’est pas avec sa famille qui, selon le courrier, devait être exfiltrée avec lui. Le 20 avril, grâce à ses transactions par carte bancaire, les enquêteurs retracent son itinéraire depuis le départ de Nantes le 10 avril : Xavier est localisé le 11 avril à Blagnac, près de Toulouse, puis le 12 au Pontet, près d'Avignon ; il paie ensuite un péage du réseau autoroutier Escota le 13, et enfin retire le lendemain la somme de 30 euros en espèces à Roquebrune-sur-Argens, dans le Var. Le 21 avril, la gendarmerie du Var y retrouve la C5, garé sur le parking d'un hôtel Formule 1. C’est ce même jour que sont retrouvés les corps sous la terrasse : le courrier de Xavier a perdu tout crédit, l’exfiltration apparaît comme un mensonge grossier et maladroit.

Xavier ne pensait pas que les corps et la C5 seraient retrouvés si vite. Il espérait que la version de la lettre tiendrait quelques semaines. Ces mensonges flagrants montrent qu’il y avait une part d’imprévu et de maladresse dans son plan.

Xavier avait prévu la découverte des corps et celle de sa voiture. Il savait que la version de l’exfiltration serait par conséquent discréditée, mais cela faisait partie du plan.

14) Départ à pied de l'hôtel Formule 1

Après la découverte de la C5 sur le parking de l'hôtel Formule 1 de Roquebrune-sur-Argens, les enquêteurs constatent que Xavier y a réglé une chambre en espèces le soir du 14 avril. Les vidéos des caméras de surveillance ont enregistré l’arrivée de Xavier et ses allées et venues. Sur la dernière image qu’on ait de lui, dans l’après-midi du 15 avril, on le voit quittant à pied l'hôtel, et emportant avec lui une housse de costume paraissant contenir un objet long. Les policiers supposent qu’il s’agit de la carabine 22 LR. Quelles sont les intentions de Xavier en quittant l’hôtel ? A-t-il conscience d’être filmé par les caméras de surveillance ?

Xavier n’a pas conscience d’être filmé. Si c’est bien une arme qu’il emporte avec lui, il part vraisemblablement se suicider dans un lieu connu de lui seul.

Xavier s’expose intentionnellement devant les caméras. Il donne le change, c’est le dernier acte de la pièce de théâtre avant le rideau final.

15) Sérénité de Xavier

Pendant la semaine passée à Nantes, du 4 au 9 avril 2011, Xavier correspond avec sa famille et ses amis, et échange quelques mots avec ses voisins, comme à l’accoutumée. Après son départ de Nantes, il est très naturel avec les personnes qu’il rencontre. Tout le monde s’accorde pour dire l’avoir trouvé parfaitement normal, ni triste, ni stressé. Le 7 avril, Xavier se rend au bureau de poste, en face du domicile : sur la vidéo de surveillance il apparait très décontracté et plaisante avec la personne au guichet. Dans l’hôtel restaurant étoilé du Pontet dans lequel il passe la nuit du 12 au 13 avril, il se fait remarquer par le personnel, qui a du mal à le croire coupable par la suite, vu son attitude : « il n’avait pas du tout de tristesse, au contraire ». Cette attitude très sereine est-elle compatible avec les actes criminels dont est suspecté Xavier ?

Xavier est très fort mentalement, il s’est préparé psychologiquement pendant des mois, tout était parfaitement planifié. C’est la théorie du « travail psychique du crime » proposée par un expert criminologue.

Xavier n’a pas tué sa famille, il est simplement resté égal à lui-même. Il est serein parce qu’il pense sa famille en sécurité et parce qu’il n’a plus à se soucier des problèmes du passé.

16) Paradoxe des indices et des preuves

Dans les questions précédentes on peut relever le paradoxe suivant : lorsqu’il est relativement facile d’être discret, par exemple en payant en espèces des articles compromettants, ou bien un péage d’autoroute, un restaurant ou une nuit d’hôtel pour éviter qu’on retrouve sa trace, Xavier fait tout l’inverse. Tel le Petit Poucet, il sème des indices. En revanche, lorsqu’il s’agit d’une tâche plus compliquée à réaliser, qui nécessite un certain niveau de compétences techniques, comme faire disparaître une scène de crime, ou creuser des fosses et enterrer des corps de manière invisible, on ne retrouve aucune signature. Comment l’expliquer ?

Xavier a fait le maximum pour que sa famille proche ne le croie pas coupable, aussi s’est-il surtout appliqué à ne pas laisser de preuves directes. Il a anticipé chacun de ses actes et s'est renseigné sur les techniques criminelles permettant de ne laisser aucune trace, que ce soit pour la scène de crime ou pour le transfert et l'ensevelissement des corps. Cette efficacité incroyable, ce « travail technique du crime », pourrait-on dire, est l'une des facettes de sa préparation psychologique. En ce qui concerne la visibilité des achats suspects et de la descente solitaire dans le sud, cela lui importait peu, Xavier anticipait déjà le fait que sa famille croirait à l'exfiltration.

Xavier était conscient de jouer le rôle du suspect en ce qui concerne ses achats et son voyage en solitaire vers le Var. En revanche les fosses et l’ensevelissement des corps ne sont pas de son fait, et tout a été réalisé de façon invisible et anonyme afin que Xavier apparaisse comme l'unique suspect.

17) Date de l'ensevelissement des corps

Même si Xavier a passé du temps au domicile pendant la semaine du 4 au 8 avril, si l’on tient compte de ses différentes allées et venues, de ses temps de communication et de rédaction des courriers, il est difficile de trouver le temps nécessaire pour l’excavation, le transfert des corps et le recouvrement des fosses. Ce n’est que le 5 avril en fin de matinée que Xavier va acheter dans un magasin de bricolage un diable pour déplacer des charges lourdes : en théorie la grande fosse doit être rebouchée avant le soir, sinon pourquoi Thomas serait enterré dans une fosse isolée ? Si l’on admet la survie d’Agnès après le 5 avril, alors il est très improbable voire impossible que ce soit Xavier qui ait enterré les corps sous la terrasse. Le 9 avril, Xavier passe la journée à Angers puis en Vendée, avant de quitter Nantes le 10 avril au matin. Le lendemain, Emmanuel et un autre ami visitent la maison et la cave. Le souvenir qu’ils ont du dessous de la terrasse ne correspond pas à l’état des lieux décrit par les policiers avant l’exhumation des corps. Les policiers qui visitent le domicile le 18 avril au matin notent que la serpillère ayant servi à nettoyer le sol de la cuisine est encore humide, et qu’un bidon de produit nettoyant est posé en évidence sur la table. Ces détails n’avaient pas été remarqués par les amis de Xavier le 11, ni par les policiers lors des visites précédentes, les 13 et 15 avril. Enfin, selon les policiers qui ont découvert les corps, la mince couche de ciment prompt recouvrant les deux fosses n’était pas encore sèche le 21 avril, comme si ce travail avait été réalisé récemment.

Les corps ont été enterrés par Xavier avant son départ. Il s’agit de souvenirs erronés, d’oublis dans les rapports, et d’erreur dans le dosage pour le ciment prompt. Sinon, où étaient dissimulés les corps pendant tout ce temps ?

Le travail d’excavation des fosses a été réalisé après le départ de Xavier, les corps ont été apportés de l’extérieur pour y être ensevelis. L’absence de scène de crime trouve ici son explication, les corps n’ont fait que transiter par la cuisine.

18) Services secrets ?

Dix mois avant les faits, Xavier a écrit une sorte d’aveu anticipé prouvant qu’il savait qu’il serait suspecté du meurtre de sa famille après une enquête de police. Pendant les mois qui suivent, et jusqu’à sa disparition, il ne fait pas d’efforts pour éviter les actes qui le rendent suspect. Si la présence d’Agnès aux côtés de Xavier le 5 et le 7 avril est avérée, elle ne s’est volontairement pas rendue à son travail, elle a accepté que ses enfants ne se rendent plus à l’école, et elle était là lorsque Thomas est rentré d’Angers le soir du 5 avril. Dans ce cas, la répartition des corps dans les fosses ne reflète pas l’ordre dans lequel les membres de la famille auraient été tués, c’est une mise en scène qui permet de faire passer Xavier pour l’unique suspect. En semant des traces au cours de son voyage en solitaire avec la C5, et en laissant celle-ci sur le parking de l’hôtel de Roquebrune-sur-Argens, Xavier a détruit le crédit qu’on aurait pu apporter à son courrier sur l’exfiltration de la famille si les corps n’avaient pas été découverts avant. En s’exposant dans le champ des caméras de vidéo-surveillance de l’hôtel, avec un objet long dissimulé qui fait penser à la carabine, Xavier semble jouer le rôle du meurtrier suicidaire. Ces mises en scène que l’on devine en double fond, ainsi que l’attitude très suspecte de Xavier, sans doute intentionnelle et parfois à la limite de la caricature, pourraient masquer la réalité de l’affaire. Peut-on y voir la signature de services secrets ? Ils ont été évoqués une fois seulement par Xavier dans son courrier aux intimes, mais de telle façon que ça ne puisse pas être pris au sérieux.

Les enquêteurs et les magistrats n’ont jamais évoqué l’intervention de services secrets, il faut donc exclure cette éventualité.

L’affaire pourrait bien cacher une opération de services secrets, à laquelle quelques membres de la police et certaines autorités ont inévitablement coopéré, d’une manière ou d’une autre, et évidemment à l'insu de la plupart de leurs collègues. Xavier a fait passer l’information à ses intimes, avec un stratagème astucieux : le courrier ne s’autodétruit pas lui-même, mais la suite des évènements lui fait perdre tout crédit.

19) Identification des corps

Depuis 2024, les photos prises par la police les 21 et 22 avril 2011, lors des exhumations et des autopsies, sont facilement accessibles aux parties civiles via leur conseil. Les corps exhumés que l’on peut voir sur ces photos ne sont pas identifiables visuellement. Mais ce n’est pas en raison de l’état de dégradation des corps car il est encore tout à fait possible de distinguer les traits du visage. C’est bien la physionomie de ces visages, la dentition et la morphologie des corps qui posent un réel problème de reconnaissance et d’identification. On ne peut pas contester l’authenticité des photos, ce sont des policiers qui les ont prises, devant de nombreux témoins. On ne peut pas attribuer de telles dissemblances physionomiques et morphologiques au travail de la chaux vive, qui de plus se trouvait surtout à l'extérieur des enveloppes des corps, et non pas directement en contact. Comment expliquer cela ?

L’identification par l’ADN est incontestable, ce sont les corps de la famille, quand bien même si, pour une raison qui reste à déterminer, il semble impossible d’identifier les personnes sur ces photos prises par la police.

Il est bien plus facile d’intervertir des échantillons avant l’analyse au laboratoire que de transformer les caractéristiques morphologiques des corps de personnes décédées. Ces photos tendent à prouver que l’identification par l’ADN a été truquée. Xavier et toute sa famille ont donc été exfiltrés, sous les apparences d’un drame familial.

Question finale:

En mettant bout à bout vos choix A ou B, pouvez-vous construire un récit qui proposerait une hypothèse cohérente sur tous les plans : technique, chronologie, psychologie, etc... ?

Xavier, mon frère, présumé innocent.

"Once you eliminate the impossible, whatever remains, no matter how improbable, must be the truth." Sherlock Holmes (Conan Doyle).