Nos premiers doutes sur la réalité de la mort d’Agnès, d’Arthur, de Thomas, d’Anne et de Benoît remontent au 21 avril 2011, le jour même où cinq corps ont été découverts par la police, enterrés de part et d’autre de l’entrée de la cave du domicile familial à Nantes. L’attitude de Xavier pendant les mois qui ont précédé cet évènement, ses écrits, la chronologie que l’on peut reconstituer presque heure par heure avec les données du dossier, notre visite des lieux, à Nantes, en mars 2012, et surtout l’étude approfondie du dossier d’instruction sur le long terme, nous ont renforcé, année après année, dans la conviction que ces corps n’étaient pas ceux de la famille. Dans le cas particulier de cette affaire, il ne nous est pas possible de considérer les résultats des analyses ADN comme une preuve incontestable d’identification : nous avons de sérieuses raisons de douter que l’ADN analysé et comparé au laboratoire ait bien été celui des échantillons musculaires prélevés sur les corps exhumés. Les raisons de nos doutes se fondent principalement sur les découvertes faites dans le dossier d’instruction. Nous les avons développées dans un livre, « Xavier, mon frère, présumé innocent », publié par Harper Collins en mars 2024.
Quelques temps après la sortie de notre livre, nous avons pu consulter les photos prises par la police les 21 et 22 avril 2011, au moment des exhumations et des autopsies. Le temps est venu pour nous de donner quelques précisions sur ce que l’on peut y voir. Ces photos étant désormais jointes au nombre des pièces du dossier facilement accessibles aux parties civiles via leur conseil, l’exactitude de notre propos pourra être vérifiée par les autres parties civiles, ou par leur conseil.
Nous avertissons le lecteur qu’il s’agit d’une description de photos de personnes décédées, ayant séjourné un certain temps sous terre. La consultation et l’étude attentive de ces photos n’a rien d’agréable en soi, mais il nous semblait indispensable de le faire. En nous portant partie civile en avril 2011, en allant consulter le dossier d'instruction, nous avons fait le choix de nous confronter avec la réalité des faits. Ce qui est l’exact opposé du déni.
Comme nous doutons de l’identité des cinq corps retrouvés au 55 boulevard Schumann, nous réutiliserons les codes d’identité temporaires, XH01, XF01, XH02, XF02 et XH03, qui leur ont été attribués dans les premiers rapports de police. Avant de décrire les photos pour chaque corps, nous donnerons quelques informations collectées dans les rapports d’autopsie et dans les procès-verbaux des policiers ayant assisté à l’exhumation.
XH01 est le jeune homme enterré dans la fosse isolée, située à gauche de l’accès à la cave, le premier corps découvert par la police, le matin du 21 avril 2011. Le rapport de police décrit un homme jeune, entre 15 et 30 ans, sans pouvoir être plus précis. Ce corps, supposé être celui d’Arthur à l’exhumation, a ensuite été attribué à Thomas. Sa taille mesurée à l’autopsie est de 1,76 mètre. Selon une amie proche de Thomas, celui-ci mesurait environ 1,70 mètre, et s’habillait surtout avec des tailles M et S. L'estomac, ouvert lors de l’autopsie, contenait une bouillie gastrique qui a été analysée ; Thomas ayant dîné juste avant de prendre son train pour Nantes le soir du 5 avril 2011, ce détail pourrait correspondre, mais on verra que ce ne sera pas le cas de tous les corps. Les photos montrent le visage d’un homme jeune, méconnaissable, tuméfié selon le rapport de police. Les traits sont très déformés, peut-être à cause de la pression appliquée sur le visage par la terre ou les éléments ayant enveloppé le corps (piscine gonflable, duvet, etc…). Le front est haut et l’avant du crâne semble dégarni, on ne retrouve pas dans ce front et ces tempes l’implantation des cheveux de Thomas. Les arcades sourcilières sont plates, il n’y a pas le bourrelet sus-orbitaire que possédait Thomas, tout comme son père. Le corps, vêtu uniquement d’un caleçon boxer, est celui d’un homme jeune mais trapu, les jambes semblent courtes par rapport au torse, les cuisses sont musclées. C’est tout l’inverse de Thomas, qui était maigre et élancé. A la vue des photos de ce corps, l’impression immédiate et persistante est qu’il ne peut s’agir de Thomas.
XF01 est la femme la plus âgée enterrée dans la fosse de droite. Le rapport de police décrit une femme âgée entre 40 et 50 ans, de corpulence moyenne à forte, vêtue d’un T-Shirt, roulé et coincé en-dessous des épaules. Dès l’exhumation, ce corps est supposé par la police être celui d’Agnès. La taille mesurée à l’autopsie est de 1,72 mètre, tandis qu’Agnès mesurait 1,67 mètre, taille connue de ses proches et indiquée sur son passeport de 2006. L'estomac a été ouvert, et le contenu du bol alimentaire a été prélevé pour les analyses de toxicologie. C’est le seul prélèvement dans lequel les analyses toxicologiques n’auraient pas trouvé trace de somnifère. Les photos montrent une femme d’âge moyen, et bien que le visage soit décrit comme putréfié dans le rapport de police, les traits sont relativement bien préservés. Mais on n’y retrouve rien de familier : quand bien même cette personne pourrait partager avec Agnès quelques points communs comme le sexe, l’âge et l’apparence générale, le visage est celui d’une inconnue. En regardant plus en détail, on remarque l’absence de sillons nasogéniens et de rides inter-sourcilières (dites rides du lion), pourtant marqués chez Agnès, la forme du nez qui est bien différente, et enfin la chevelure brune, parsemée toutefois de quelques cheveux blancs, mais très loin de la couleur franchement grise que l’on peut voir sur les photos les plus récentes d’Agnès. Les dents ne sont pas visibles, un plastique ou un tissu clair parait coincé entre les lèvres sur l'une des photos. Le corps est celui d’une femme corpulente, manifestement en surpoids : la taille du T-Shirt dont le haut du corps est vêtu semble trop juste pour cette personne. La vue des photos du visage et du corps de cette femme laisse l’impression générale et persistante qu’il ne s’agit pas d’Agnès.
XH02 est un homme enterré dans la fosse de droite, à côté de la femme XF01. Il est vêtu uniquement d’un caleçon boxer et possède un tatouage sur l’abdomen. Lors de l’exhumation ce corps était supposé être celui de Thomas, il sera finalement attribué à Arthur. La taille mesurée lors de l’autopsie est de 1,85 mètre ; dans sa demande de passeport datant de février 2011, Arthur indiquait une taille de 1,82 mètre. Lors de l’autopsie, l’estomac de ce corps a été ouvert, et il était vide, ce qui a posé problème pour le prélèvement en vue des analyses toxicologiques. Pourtant, comme Agnès, Anne et Benoît, Arthur avait dîné au restaurant le soir du 3 avril. Les photos montrent le visage d’un inconnu avec des traits plutôt épais, relativement jeune. Bien que le visage soit décrit comme dégradé dans les rapports de police, sa forme et ses traits sont assez bien préservés. C’est en tout cas le visage dont les photos sont les plus nettes… et aussi les plus choquantes car la physionomie de cet homme est incompatible avec celle d’Arthur. Rien ne lui ressemble, ni la forme du visage, ni l’œil droit qui s’est rouvert après l’exhumation, ni le nez, gros et presque épaté, ni la bouche entrouverte, laissant apparaître les dents supérieures. Les incisives et les canines, courtes et petites, présentent un diastème, un écartement régulier entre chaque. Ce détail est incompatible avec le beau sourire d’Arthur, que l’on peut vérifier sur de nombreuses photos. Le corps est celui d’un homme de corpulence modérée, suffisante pour masquer les muscles du buste et de l’abdomen : rien à voir avec la silhouette harmonieuse et la musculature d’Arthur. Le thorax ne présente aucun pectus excavatum, une déformation en creux relativement courante chez les hommes et qui était assez marquée chez Arthur. La pilosité fournie du thorax et de l’abdomen ne correspond pas avec celle d’Arthur. En regardant ces photos, l’impression immédiate et persistante est que ce visage et ce corps ne peuvent absolument pas être ceux d’Arthur. Et pourtant ce corps possède un tatouage bien visible sur l’abdomen, identique en tous points à celui d’Arthur. Le contour du dessin de ce tatouage paraît d’ailleurs très net, ce qui tranche avec l’état dégradé de la peau alentour.
XF02 est la plus jeune des deux femmes, elle est enterrée dans le fond de la fosse de droite, sous les corps XF01 et XH02. Ce corps, supposé être celui d’Anne, est le seul qui soit vêtu de quelque chose qui pourrait ressembler à un vêtement de nuit, mais les pieds portent en plus des chaussettes. La taille du corps mesurée lors de l’autopsie est de 1,72 mètre. L’estomac de ce corps a également été retrouvé vide lors de l’autopsie, le prélèvement n’était pas viable pour l’analyse toxicologique : « ce scellé contient 1 goutte de prélèvement gastrique. La quantité est trop faible pour être utilisable ». Le soir du 3 avril Anne avait dîné au restaurant avec ses parents, Arthur et Benoît. Selon le rapport de police le visage est déformé, écrasé même : le rédacteur du rapport suggère que la raison de cet écrasement pourrait être le poids de la terre et des corps situés au-dessus, ou bien les pieds des policiers, qui auraient été obligés de marcher dessus pour retirer les deux corps précédents. Sur les photos on découvre le visage déformé d’une jeune femme inconnue, dont la bouche est grande ouverte. Sur la mâchoire inférieure, on remarque une dentition très désordonnée. Le nez est également déformé, et le visage, tout en longueur, n’a aucun détail qui rappelle les traits harmonieux d’Anne. Malgré la bouche grande ouverte, on ne distingue pas d’appareil dentaire. Le corps est assez maigre et donne l’impression d’une personne malade, un mollet semble d’ailleurs plus enflé par rapport à l’autre. L’impression générale et persistante à la vue de ces photos est qu’il ne s’agit pas d’Anne.
XH03 est le dernier corps retrouvé dans la fosse de droite, à côté de la femme XF02. Selon le rapport de police, c’est le corps d’un homme âgé entre 15 et 30 ans, avec un visage déformé, comme écrasé, pour les mêmes raisons que XF02, pense le rédacteur du rapport. Ce corps est supposé être celui de Benoît. La taille mesurée de ce corps à l’autopsie est de 1,75 mètre soit trois centimètres de plus que le corps XF02, identifié à Anne. Sur les photos de famille de janvier 2011, à l’occasion de l’enterrement de leur grand-père Hubert, Anne parait plus grande que Benoît, et c’est également le souvenir que nous avons d’eux lorsque nous les avons vus pour la dernière fois, à la même époque. L’estomac de ce corps, ouvert à l’autopsie, contenait une bouillie alimentaire, contrairement aux corps XH02 et XF02. Les photos de l’exhumation montrent un visage d’homme jeune méconnaissable, les traits sont très déformés et la bouche est tordue. Devant les dents de la mâchoire supérieure un fil d’acier inox est bien visible, semblable à celui d’un appareil dentaire dit « faux-palais », porté généralement par des patients jeunes. Le corps est celui d’un homme jeune, aux cheveux bruns, vêtu d’un caleçon boxer et de chaussettes. L’impression générale et persistante à la vue des photos de ce corps est qu’il ne s’agit pas de Benoît.
La conclusion générale est que les corps exhumés que l’on peut voir sur ces photos n’étaient pas identifiables visuellement : ce qui signifie qu’en avril 2011, si un proche de la famille avait pu les voir avant la crémation, il lui aurait été impossible de reconnaître Agnès, Arthur, Thomas, Anne ou Benoît dans aucun de ces corps. La raison de cette impossibilité n’est pas l’état de dégradation des corps car sur les photos on voit qu’il est encore tout à fait possible de distinguer les traits du visage. C’est bien la physionomie de ces visages et la morphologie des corps qui posent un problème de reconnaissance et d’identification.
Imaginons maintenant qu’un proche de la famille ait pu voir ces corps en avril 2011, avant leur destruction, puisque c’est bien de cela dont il s’agit. Inévitablement il aurait été pris de doutes, et peut-être même aurait-il déclaré publiquement que ces corps ne pouvaient pas être ceux de sa famille. On peut légitimement se demander si ce n’est pas là la véritable raison pour laquelle aucun proche n’a pu approcher les corps à l’époque.
Les corps que l’on peut voir sur ces photos n’existent plus, puisqu’ils ont été détruits fin avril par crémation. S’il n’y avait pas eu cette crémation, il aurait été facile de lever le doute par une contre-expertise qui aurait fait analyser et comparer l’ADN de restes osseux ou de cheveux prélevés dans la sépulture. Aujourd’hui nous devons choisir entre deux preuves contradictoires : le résultat des analyses ADN et les photos des corps exhumés en avril 2011. L’une de ces deux preuves ment : soit ces cadavres sont bien ceux de notre famille, soit ce sont des inconnus. Comment trancher ?
On ne peut pas contester l’authenticité des photos, ce sont des policiers qui les ont prises, devant de nombreux témoins. Comme il ne s'agit pas de dégradations mais bien de dissemblances physionomiques et morphologiques entre les corps exhumés et nos proches, on ne peut pas attribuer de telles transformations physiques au travail de la chaux vive, qui de plus se trouvait surtout à l'extérieur des enveloppes des corps, et non pas directement en contact. Comment expliquer ces dissemblances ? Quelqu’un aurait-il modifié l'apparence des corps pour faire croire qu’il s’agirait d’autres personnes ? Le sol du 55 boulevard Schumann posséderait-il des vertus très particulières capables de transformer les physionomies et les morphologies des cadavres ? Ou, plus simplement, les corps exhumés ne sont pas ceux de la famille ? Nous appliquerons le principe de parcimonie : il est évident qu’il est beaucoup plus facile d’interférer sur des échantillons de laboratoire que de transformer, volontairement ou non, les caractéristiques morphologiques des corps de personnes décédées. L'explication qui est de loin la plus probable et la plus raisonnable pour la non-ressemblance des corps, c'est que ces personnes exhumées en avril 2011 n'étaient pas Agnès et ses enfants. Ces photos prouvent donc que l’identification par l’ADN a été faussée.
Qui seraient alors ces inconnus enterrés au 55 boulevard Schumann, dans l’intention de faire croire à la mort de toute la famille ? Ce n’est pas nous qui avons la réponse. Ce que nous pouvons affirmer avec force, preuves à l’appui, c’est qu’Agnès, Arthur, Thomas, Anne et Benoît n’ont pas été tués et enterrés sous la terrasse en avril 2011.